Renaissance pulaar
Je te salue Ceerno Umaar Jaay. Mi wayri yi’de-ma. Je te remercie pour ton article très interéssant, je vois aussi que ta contribution est constante et sans cesse renouvelée. Bonne continuation. J’en profite pour dire mes encouragements à l’équipe de Bababé Loti.
Je pense que ton article ouvre un débat qui mérite d’être reconsidéré dans ses différents aspects et approfondi. Tu soulèves de grandes questions liées à l’histoire, à l’identité, au combat pour la réappropriation de la personnalité sociale et culturelle des peuls, mais pas seulement puisque d’autres nationalités peuvent se reconnaître à travers les axes majeurs de la réflexion proposée.
Je pense aussi que ton texte pose un certain nombre de problèmes d’ordre méthodologique, conceptuel et historique, problèmes que nous ne devons nullement négliger par souci de rigueur intellectuelle et de vérité historique.
Le premier problème concerne les notions employées dans ton texte et surtout en particulier la notion de « pensée stucturée » et la notion de « révolution culturelle ». De quoi s’agit-il ? Les termes ne sont pas définis. Le deuxième problème est liée à la contextualisation précise des faits rapportés. De quelles époques s’agit -il ? Cette « pensée structurée » – malheureusement ton texte n’en précise pas les contours – est-elle cumulative ? Progresse-t-elle en géométrie variable en fonction des enjeux et des époques ? Quels sont les enjeux majeurs en fontion des époques ?
Faute de temps, je ne pourrai malheureusement pas aborder les questions de contextualisation et de méthodologie mais je vais prendre en compte la problématique soulevée par « la pensée structurée » et » la révolution culturelle » .
La notion de « pensée structurée » n’est pas claire. Dans différents domaines des sciences humaines et sociales (Histoire, Anthropologie, Sociologie, Linguistique, Philosophie…) la notion de structure a fait l’objet de nombreux débats. De grands penseurs se sont prononcés sur la question et de nombreux courants de pensées ont émergé à partir d’une réflexion solidement établie autour de la structuration probable de la pensée, de l’inconscient, de la langue, de la société, de la parole, des mythes etc. Le linguiste Jakobson (la linguistique structurale), l’anthropolgue Claude Levi-Strauss (les structures élémentaires de la parenté et l’anthropologie structurale), de nombreux chercheurs européens et américains ( à travers le structuralisme et le struro-fontionnalisme) et même Dubar et Demazière (l’analyse structurale) se sont illustrés par leurs brillants travaux sur la question. Donc cette notion de structure n’est pas simple, elle est riche d’une quantité non négligeable de thèses et de problématiques et c’est pour cela que lorsqu’on veut élaborer sur « une pensée structurée » on ne peut faire, normalement, l’économie d’une définition précise; surtout que la réflexion sur cette pensée structurée concernant le travail et la production de nos anciens nous intéresse à plus d’un titre.
Alors de quoi s’agit-il ? Avons-nous vraiment, au regard des exemples que tu donnes et des figures intellectuelles que tu cites la production claire et consciente, c’est à dire clairement énoncée et consciente d’elle même, d’une pensée structurée ? Je crains que la réponse soit négatice! Mais, d’accord, nous devons poursuivre la recherche.
S’agit t-il d’une philosophie ? ou d’un mouvement politique ? ou encore d’un ensemble de régles, de pratiques, de valeurs et d’orientations établies par un groupe social ? Dans ce dernier cas on pourrait parler de référentiel. Si tel est le cas où trouve t-on ce référentiel ?
Si tu veux mon avis – avis fondé sur ma connaissance des acteurs dont tu parles et sur la lecture de leurs productions intellectuelles – nous avons eu des activistes, des éveilleurs de conscience, – et pour dire les choses moins prosaïquement – des batisseurs de beauté (selon le mot d’Alioune Diop) et des repousseurs de bornes (Aimé Césaire); des contestataires de l’ordre établi (colonial et post-colonial), des précurseurs d’un mouvement culturel mais nous n’avons pas eu de fondateurs d’une pensée structurée bien originale et spécifique.
Le mouvement s’est limité à sa génèse.
Il s’agissait pour ces acteurs – et la figure de Djiby Sall que tu cites à juste titre est très emblématique de ce mouvement puisqu’il l’a porté à bout de bras sa vie durant, travaillant sans relâche jour et nuit (de 1956 à 2003) et jusqu’à la dernière minute en grevant ses économies, son énergie et sa santé pour la valorisation du peul en particulier et des langues nationales africaines en général – de donner une place digne à cette langue, à ces langues africaines. C’était (ça l’est encore aujourd’hui pour certains d’entre nous et pour les associations et fédérations ARP, Kawtal, Tabital, Sooninkara… un combat pour la valorisation et la reconnaissance de nos pratrimoines linguistiques et culturels. C’était une lutte pour l’égalité et la diversité. C’était un moment de refus de l’ordre colonial (période de la fin des années 50) , de l’aliénation culturelle (période néo-coloniale) et de l’acculturation à outrance conduisant à la perte des identités culturelles spécifiques. Ils étaient des contestataires très courageux (Gaye Amadou Malick dans ses engagements politiques et culturelles, Djiby Sall surtout pendant ses émissions Anndu Hooré-ma Anndu Leydi-ma et ses nombreuses conférences, Tène Youssouf Gueye mort dans la privation de la liberté et la torture, Yéro Doro Diallo et Mammadu Sammba Joop Murtudo pour leurs conférences très engagées et leurs écrits, Saydou Kane (Moustapha Boli), pour ses conférences et son combat pour l’égalité et la démocratie en Mauritanie. Ils se sont illustrés dans la conservation du patrimoine culturel. Ce sont donc, si l’on considère uniquement cet aspect, des conservateurs au sens noble du terme, l’enjeu étant pour eux, dans ce contexte de la fin de la colonisation et du début des indépendances, de préserver l’existant et de se définir comme les porte-parole d’une communauté culturelle et linguistique.
Leur slogan pourrait être : « je parle le peul donc j’existe. Je parle le peul et je l’écris donc j’existe ».
La langue est un outil de développement et pour eux la performance, l’éfficacité et l’éfficience de cet outil au service de la communauté et pour le développement de tous s’acquièrent par la transcription. Définir un alphabet mais sous quelle forme ? avec des caractères arabes ou des caractères latins ? Travailler sur un syllabert , initier et participer à des congrès pour la transcription des langues nationales. Le congrès de Mbagne s’inscrit dans ce débat et ces perspectives là tout comme celui de Thioubalel qui l’a précédé et ceux de Matam et du Caire qui l’ont suivis. La conférence de Bamako de 1966 permettra de retenir définitivement les caractères et les lettres utilisés (pour une très large part) à l’heure actuelle. En quoi ces différents congrès, et en particulier celui de Mbagne, ont-ils permis de » jeter les bases de l’appropriation culturelle, intellectuelle, historique et structurelle de la pensée peule … » ? (Je cite Oumar Ndiaye et les termes « bases structurelles de la pensée peule » sont soulignés par nous) . Quelles sont ces bases dont -il parle ici ? S’agit-il simplement de ces débats au cours de ce congrès portant sur la nécessité de transcrire la langue peule et de trouver un alphabet techniquement approprié et adapté à une communauté linguistique diversifiée ( et d’ailleurs , sois dit en passant, que les termes « concentration géographique ne convient pas, à mon sens)?
Je ne crois pas que le fait de retenir un alphabet afin de rendre possible la transcription d’une langue (orale en partie seulement puisque les arabisants des siècles précédents, du Macina, de Tombouctou, Fouta Djallon et du Fouta Tooro entre autres, avaient déjà dégagé les premières pistes) soit en soi « une pensée structurée ».
Du reste la préoccupation de l’époque était simplement – mais c’était tout un programme , il faut l’admettre étant donnés les enjeux et c’est encore un programme assez pertinent aujourd’hui – de valoriser la culture peule et d’écrire sa langue.
La notion de « révolution culturelle » pose aussi de nombreuses questions. Qu’est-ce qu’une révolution culturelle ? Est-ce la remise en cause – faire table-rase – d’une culture jugée féodale, archaïque et inadaptée ? ou s’agit-il de l’émergence et de l’accumulation intense de faits culturels faisant florès à partir de phénomènes sociaux particuliers et/ou empruntant diverses voies et expressions artistiques ? Si révolution culturelle il y a, dans le cas cité et qui se serait produit en Afrique de l’Ouest, de quel type de révolution s’agirait-il ? Oumar N’diaye ne donne pas de réponse à ce propos.
Il s’est produit en Chine, à la fin des années 1960, une révolution dite culturelle. Nous savons aujourd’hui, avec le recul de l’emprise idéologique, qu’il s’agissait d’une révolution contrainte et forcée menée dans la violence physique et symbolique et qui n’a guère survécut à ses leaders. C’était un mouvement pensé au sommet par une oligarchie dans le but de répondre à des objectifs idéologiques et loin des préoccupations de la base populaire. Les cultures dans leurs expressions traditionnelles et religieuses ont été largement niées, massacrées et détruites. En Inde, en revanche, le mouvement de masse impulsé par Mahatma Gandhi s’est appuyé sur les coutumes et traditions populaires pour finalement se transformer en force politique au point d’être capable de libérer le peuple du joug colonial.
C’est dire que les expériences ne manquent pas pour illustrer les propos et avancer dans l’étude transparente des faits évoqués.
Si tu veux mon avis sur cette question précise, mon cher Oumar, je crois que, effectivement, il y a bien eu , dans les années 1960 à 1980, un effort , de la part d’un groupe restreint, pour impulser « une rénovation » culturelle. Mais cet effort est resté dans ses étapes préliminaires faute de soutien, de moyens et parce que l’ambition était démesurée, dépassant largement les épaules fréles ( on parle d’hommes peuls, non! ) de ces acteurs sans ressources majeures. Il y a vraiment lieu ici de saluer la mémoire de Gaye Amadou Malick car c’était un visionnaire et s’il y avait eu les moyens et les appuis institutionnels, son effort d’organisation aurait probablement donné quelque chose d’intéressant sur le plan du changement social, culturel et du développement économique. Ses amis et en particulier Djiby Sall et Silèye Dia ont été des travailleurs acharnés pour édifier sur le terrain les fondements d’une culture poular (Mauritanie et Sénégal) renaissante. Silèye Dia s’est illustré dans le théâtre classique afin de remettre au goût du jour les valeurs épiques de noblesse, de courage, de générosité, d’abnégation, d’altruisme et de dépassement de soi. Parle t-on de cet homme aujourd’hui encore ? Je relisais recemment encore, avec émotion, son avant-propos destiné à sa pièce « Samba Guéladiégui ».
Djiby Sall, fondateur, entre autres de l’association pour la Renaissance du Pulaar avec Gaye Amadou Malick, a de son côté a construit , dirigé, coordonné et managé les ballets Birome Ndiaye de la fin des années 50 au milieu des années 70. Il y a écrit de nombreux textes, des oeuvres à caractère historique et sociologique, des récits épiques. Certains de ses poèmes et chansons populaires ont été interprétés par les voix magistrales de Birome Ndiaye et de Penda Madame. Ses émissions à la radio (ORTS de Dakar dans les années 1960 et 1970 et ORTS de Saint-Louis de 1972 à 2002) ont permis d’enrégistrer – pour la toute première fois pour certains et je pense en particulier à Guélaye Ali Fall, Fadel Aissata, à Saidou Ndiaye et Saidou Bâ- de diffuser et de médiatiser des chanteurs et poétes devenus des pilliers de la culture populaire peule d’aujourd’hui.
Rappelons tout de même qu’il a commencé la radio avec Amadou Tamimou Wane et Mamadou Amadou Tamimou Wane de Mboumba. Leur émission écoutée par Dakar, Saint-Louis et tout le Fouta avait pour nom: « Visages du Fouta ». Ils étaient accompagnés par de grands musiciens tels que Ngourane Bä et Samba Aliou Guissé. Il y a aussi une émission célébre animée par Djiby Sall: « Anndu sa anndi Andin » qui débute en 1965, titre que reprendra beaucoup plus tard Tidiani Anne. Il y avait aussi « Anndu Hooré, Anndu Leydi ma » et « Lasli Fouta ». Avec « Lasli Fouta », il va introduire le théâtre pulaar à la radio: Markhéré Gaye de Gollére , Diara Diagne ainsi que Aissata Yale deviendront célèbres grâce à cette émission.
A l’époque, il fallait du courage pour parler à la radio, défendre une langue et une culture. Il fallait aussi négocier avec les parents pour que Diara Diagne et Aissata Yale , entre autres, puissent faire du théâtre à la radio.
Affecté à Saint-Louis au début des années 1970 pour diriger le centre de recherche et de documentation de l’OMVS, il va animer à la radio des émissions non moins célèbres sur l’histoire du Fouta et l’histoire de El Hadji Oumar Tall. La dernière émission de Djiby Sall à la radio: « Caali Fuuta: gila tabalde haa Internet ».
Incontestablement, il a fait un travail d’avant garde. Sur le plan de l’alphabétisation et de l’écriture du pulaar, il a été un grand initiateur. Après avoir rédigé le syllabaire du pulaar, il a initié les premières classes pour l’alphabétisation du peul à Dakar (les années 1960 au centre Bopp et à Pikine) et à Nouakchott en 1964. Il a formé les formateurs et certains sont devenus de brillants conférenciers , d’écrivains, d’enseignants…Il a ouvert et enseigné des classes pulaar au lycée Faidherbe, au lycée Charles Degaulle, à l’école normale, à l’école d’élevage de Saint-Louis…dans les années 1970. Parmis ses élèves de Saint-Louis de futurs grands artistes et d’animateurs de radio dont le célèbre Tidiani Anne (paix en son âme).
Tous ces exemples, et la liste n’est pas exhaustive, montrent qu’il y eu l’amorce de quelque chose , nous en sommes les héritiers et nous devons transformer l’essai, mais nous pouvons pas suivre Oumar Ndiaye quand il parle de pensée structurée ou de révolution culturelle. Ces hommes étaient des défenseurs et illustrateurs, dans une certaine mesure, de la langue et de la culture peule. Ils n’ont pas eu de moyens pour produire une pensée structurée (philosophiquement et socialement parlant comme étant une pensée novatrice, et méthodiquement pensé comme système organisé autour de valeurs fortes et de référentiels propres à un groupe social conscient de son rôle de catalyseurs). On aurait pu parler de révolution culturelle si leurs pratiques et leurs modes de faire avaient provoqué un changement social et/ou culturel irradiant la base populaire. Nous sommes loin du compte. D’ailleurs ces hommes et ces femmes ne parlaient pas eux- mêmes de révolution culturelle; ils ont préferé parler de « renaissance du pulaar ». A mon niveau, je ne suis pas d’accord avec ce terme d’ailleurs. L’examen de leurs oeuvres plaide plutôt en faveur d’une reconnaissance du pulaar.
Mais Oumar Ndiaye a fondamentalement raison lorsqu’il nous appelle implicitement à renouer avec ce travail, à l’examiner dans ses détails de manière à faire le bilan et de tracer les voies de l’avenir. Et faire une oeuvre de mémoire et de transmission intergénérationnelle. C’est rès important, surtout aujourd’hui car on a tendance oublier et négliger le travail des anciens. Alors ne les oublions pas, n’oublions pas nos anciens , nos précurseurs, nos visionaires. Que transmettrons nous à nos enfants si nous oublions notre passé et notre trajectoire. Merci Oumar. A jaaraama seydi Ndiaye.
Mamadou Djiby SALL
Sociologue